dimanche 16 septembre 2012

Méta Mytho - 2

Pourquoi l'apocalypse? Pourquoi maintenant, c'est fait exprès? Des gamins qui veulent détruire le monde, vous essayez pas un peu pervertir notre jeunesse avec ça, des fois?

Le thème de l'apocalypse s'est un peu imposé de lui-même quand on a décidé, Zimra et moi, de prendre pour héros des dieux qui seraient considérés comme mauvais. A la base, on voulait faire un shônen, s'essayer à de l'action et je me suis fixée sur la mythologie parce que j'ai toujours aimé ça (c'était mon sujet préféré dans le "Quatre à la suite" de Questions pour un Champion). Je savais que je voulais Loki en personnage principal, parce que c'est une figure mythologique tellement complète et  complexe. C'est un héros populaire, dans les deux sens du terme: à la fois très aimé, et "proche du peuple". Il est tout autant au centre de farces (avec Thor notamment, j'en ai parlé un peu plus haut dans ce blog) que de véritables tragédies (il se retrouve ligoté avec les entrailles d'un de ses enfants et un serpent fait goutter son venin directement dans ses yeux lui causant des souffrances inimaginables, et ne sera libéré qu'au Ragnarök), il est ambigü moralement, bon et mauvais selon son humeur, bref: le parfait héros pour Mytho. On ne voulait pas partir de personnages de mythologie positifs à la base (les héros littéraux parmi, Héraclès, Ulysse, Thésée etc) parce que c'est vu et revu, et que sauver le monde ça commence à bien faire. Les "méchants" sont toujours beaucoup plus intéressants que les "gentils", ils ont une psychologie plus profonde à fouiller, et des fois, eh bien ils n'ont pas toujours tort. Sur ce point précis, c'est sans doute Dr Horrible (de Joss Whedon, tiens donc, mais bon, vous commencez à avoir l'habitude avec cette obsession que j'ai pour lui) qui nous aura le plus inspiré.


Donc en résumé, on n'a pas vraiment fait exprès, mais on s'est rendu compte après que c'était plutôt dans l'air du temps effectivement, ces histoires de mythologie et d'apocalypse. Et une fois qu'on a eu notre idée et qu'on est parties sur la confection de l'histoire, je ne vous raconte pas l'exaspération de voir tous les Percy Jackson, Thor et autres Choc des Titans débarquer en masse: eh ben croyez-le ou non, mais ces derniers ne nous ont pas inspirées, même qu'on a eu l'idée avant, non mais sans blague. On ne savait pas non plus quand on allait signer le projet, encore moins quand il allait sortir, c'est donc aussi une coïncidence qu'il sorte pile en 2012, quand les rumeurs de calendriers mayas et d'apocalypse font rage.
A partir de là on peut répondre à une autre question un peu plus générale: pourquoi donc la mythologie est-elle si populaire en ce moment?
Je pense que d'une part il y a une volonté sous-jacente de retour aux sources dans notre société, de comprendre comment on en est arrivés là, de revisiter les histoires fondatrices de notre civilisation. Parce que malgré le fait qu'on nous dit que Dieu (le grand, l'unique, le barbu) est mort et qu'on est à l'ère post-moderne, les religions monothéistes foutent vraiment un gros bordel en ce moment et Dieu n'a jamais été aussi présent partout que depuis 2001. La mythologie permet de relativiser, de paganiser un peu tout ça, de rappeler que les religions monothéistes ne sont pas les plus anciennes et n'ont pas toujours été la seule façon d'expliquer le monde. La mythologie permet de ramener l'idée de divinité à une échelle plus humaine aussi, à quelque chose que l'on peut comprendre, avec des dieux qui ont des motivations proches des nôtres, plutôt que des histoires confondantes de pomme mise bien en évidence et à laquelle il ne faudrait soi-disant pas toucher.
Mais j'intellectualise peut-être un peu trop, c'est peut-être aussi une question toute conne de "gné des supers-pouvoirs COOL JE SUIS UN DIEU", sur une planète où il y a de plus en plus de gens et où on se sent de plus en plus insignifiant dans la masse et qu'on aimerait qu'on nous dise qu'on est un flocon de neige unique et merveilleux.
Quoi qu'il en soit, la mythologie est une façon d'expliquer l'inexplicable, et pas que dans l'Antiquité: on peut dire qu'une mythologie moderne existe également. D'une part dans les comics, avec la figure du Surhomme (comme son nom l'indique si ça ne vous dit rien: Superman) sans parler des adaptations d'authentiques mythes comme avec Thor, justement; d'autre part, nous sommes entourés de trucs dont on ne sait pas vraiment comment ils fonctionnent, la politique notamment; tout ça s'apparente un peu à de la magie et nous vivons au milieu d'entités qui pourraient presque avoir leur propre conscience et auxquelles nous sacrifions quotidiennement (ô, tout-puissant Internet!). Et cette problématique-là est présente aussi dans Mytho, un peu à la American Gods; il n'y a pas que les dieux "anciens" (qui dans le monde de Mytho officient au gouvernement en tant que ministres), cet angle des dieux "modernes" sera également abordé. Par ailleurs, nous avons voulu transposer ces dieux anciens à une époque qui ressemblerait à la nôtre, en essayant de respecter exactement les liens (familiaux ou autres) qu'ils ont entre eux, leurs passifs, leurs névroses, ce qui donne forcément, dans un contexte moderne, quelque chose d'intense et d'extrême.
Mais il ne faut pas oublier que la mythologie, avant d'être mythologie, est une religion, soit pas seulement une façon d'expliquer le monde qui nous entoure, mais un outil de contrôle, un manuel de savoir-vivre, un ensemble de règles pour savoir comment se comporter en société. Certains mythes sont là pour dire aux hommes de ne pas aller trop loin, de ne pas dépasser les dieux, de ne pas chercher à échapper à son destin (cette volonté bien humaine que l'on appelle "hybris"): les châtiments réservés à ceux qui cèdent à cet appel inspirent, chez ceux à qui sont transmis ces mythes, les sentiments de terreur et de pitié.
Avec Mytho, nous avons détourné cette fonction du mythe, en donnant le pouvoir aux enfants, qui sont tout pétris d'hybris et pour lesquels la modération n'est pas vraiment de mise, et ils sont là pour carrer un grand coup de pied dans le nid de termites, pour chercher le chaos au lieu de l'ordre, pour foutre la zone. Ce qui me permet de répondre à la dernière question, posée tout en haut (celle qui parle de pervertir la jeunesse): la réponse est oui, tout à fait, on espère. L'histoire de Mytho est celle d'enfants qui pensent que le monde ne tourne pas rond, et auxquels les adultes ont fait de sales coups, et leur réponse, plutôt que de chercher à sauver les meubles, est de tout faire péter (ce que je pense être une réponse honnête et plausible de la part de vrais enfants dans le monde qui ne tourne pas rond d'aujourd'hui, en fait).
Nous sommes les premières à dire que nos persos sont des petits connards, chacun à leur niveau; leur réponse n'est pas la réponse absolue, et ils n'ont pas forcément raison. L'histoire de Mytho est aussi une odyssée vers l'âge adulte, où nos héros apprendront le sens de la responsabilité et du sacrifice, la gravité de leurs choix, de leurs actes (et les conséquences de ceux-ci), et les nuances de gris dont le monde est composé. Ils devront se construire un discours qui ne leur a pas été imposé, par eux-mêmes, en toute connaissance de cause et en assumant jusqu'au bout. A la manière nietzschéenne, ils deviendront ce qu'ils sont.

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